Lors d’une manifestation de « gilets jaunes »,à Paris,
le 5 décembre 2020. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP Dans La Civilisation des mœurs et La Dynamique de l’Occident,deux ouvrages (parus en France chez Calmann-Lévy en 1973 et 1975) qui sont en réalité les deux parties d’une seule et même recherche (publiée en Suisse en 1939) sur le « processus de civilisation » des sociétés européennes entre le Moyen Age et l’époque moderne,le sociologue Norbert Elias analyse ce qu’il considère être un phénomène central,l’évolution des bonnes manières,l’intériorisation progressive des contraintes sociales et le contrôle accru de nos émotions. Cette dynamique pacificatrice s’accompagne d’un processus de régulation de la violence par l’Etat,seul détenteur de ce qu’un autre sociologue,Max Weber,appellera la « violence légitime ».
Le processus de civilisation décrit par Norbert Elias se manifeste ainsi de très nombreuses façons : hausse de la pudeur et de la dissimulation des fonctions corporelles naturelles,contrôle accru de la sexualité,hausse de la sensibilité,attachement plus fort à la raison et au contrôle de soi plutôt qu’aux pulsions,désir accru d’égalité entre les individus… Pour le dire plus simplement,chez Rabelais,on rote,on crache,on pète,on viole,on trucide gaillardement alors que,aujourd’hui,on réfrène et dévalorise de tels comportements,de telles outrances,et notamment la violence.
Cette thèse est depuis plusieurs années remise en cause par des responsables politiques ou des analystes qui voient dans des manifestations incontestables d’extrême violence,notamment chez de très jeunes adolescents,le signe d’un « ensauvagement de la société » ou la marque d’un « processus de décivilisation »,expression reprise par le président de la République,en mai 2023. Ces auteurs vont lui rattacher d’autres symptômes censés alimenter l’idée d’une régression vers la barbarie : baisse de l’attention,affadissement du vocabulaire,hausse des incivilités,règne de « l’enfant roi » et du « client roi ». Or,disons-le clairement,nous nageons ici en pleine confusion et dans la mise en relation de phénomènes qui ont peu à voir entre eux.
Refus de la violence
Tout d’abord et pour aller à la question centrale de la violence,92 % des Français interrogés ont le sentiment de vivre dans une société violente et,même,pour 32 % d’entre eux,« très violente ». Plus encore,89 % des sondés considèrent qu’elle augmente dans la société française,dont 61 % qu’elle augmente « beaucoup ». En d’autres termes,les Français sont horrifiés,voire tétanisés par les événements d’extrême violence dont ils sont témoins,en direct ou par médias interposés.Il vous reste 58.73% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.