Illustration. AP / U.S. DISTRICT ATTORNEY Bertrand Monnet est professeur à l’Ecole des hautes études commerciales (Edhec),où il est titulaire de la chaire Management des risques criminels. Depuis vingt ans,il conduit des études de terrain en immersion avec différentes organisations criminelles en Amérique du Sud,au Nigeria,en Italie et dans les Balkans. Il est le réalisateur de la série de documentaires Narco Business,coproduite par l’Edhec et Le Monde.
Eduardo
Assis au volant de sa Jeep,porte ouverte,Eduardo déguste un filet de bœuf grillé tout juste enroulé dans une crêpe de maïs qu’une jeune femme vient de lui apporter respectueusement. Poussé à fond,son autoradio crache un narcocorrido,une chanson à la gloire du cartel chantée par un groupe local qu’il adore. Aujourd’hui,il est venu visiter un des laboratoires d’héroïne appartenant à son clan,caché dans un ranch aux alentours de Culiacan,la capitale de l’Etat mexicain de Sinaloa,fief historique du cartel. Une vingtaine de « narcos » à casquettes et chapeaux,armés de pistolets et de fusils automatiques,discutent calmement autour de lui,une bière ou un joint de marijuana à la main. Certains sont des producteurs de diverses drogues : héroïne,métamphétamines ou fentanyl. Les autres sont des sicarios,les tueurs du clan.Cet article est tiré du « Hors-Série Le Monde – Les narcotrafiquants : leurs réseaux,leurs crimes,la riposte »,novembre-décembre 2024,en vente dans les kiosques ou par Internet en se rendant sur le site de notre boutique.
Eduardo tient une fonction stratégique pour le groupe : le commerce. « Mon rôle à moi,c’est l’export. Et le blanchiment d’argent dans certains endroits. » Il ne vient pas de la sierra,mais de la ville. Et il voyage très souvent pour son clan. Aux Etats-Unis et en Europe pour les ventes,au Panama et à Dubaï pour le blanchiment. Toujours en mouvement,Eduardo utilise cinq téléphones dont il change souvent. Et même sur Signal ou Telegram,il ne communique jamais d’informations sur ses voyages ni sur ses activités.
A 30 ans,Eduardo vit confortablement,entre une maison,des appartements sur la côte Pacifique et de l’argent placé. « Toi,tu ne peux pas faire ça,explique-t-il en riant,mais nous,quand on place,ce n’est pas à la banque ! Là,j’ai 500 kilos de coke à moi chez nos fournisseurs en Colombie… »
Père de famille attentif,il explique que s’il trafique des tonnes de drogue chaque année,c’est,bien sûr,pour mettre ses enfants définitivement à l’abri du besoin. Puis,comme il le fait dix fois par jour,il plonge deux doigts dans le petit sac plastique plein de poudre blanche qu’il garde toujours dans sa poche,et sniffe un trait de cocaïne : son seul vice,dit-il.
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